L’après-Covid. Peut-on appréhender un retour « à la normale » ?

Actu Lot – La vie quercynoise n°3938 du jeudi 6 mai 2021
mai 2021 © Marie-Françoise Plagès

Alors que le déconfinement se met peu à peu en place, comment va-t-on ressortir de la crise sanitaire ? Louise Soulié, psychosociologue dans le Lot, donne des pistes.

Depuis plus d’un an, un nano virus a mis à genoux le monde entier. Aujourd’hui, après 1 puis 2 et un 3econfinement, comment l’être humain ressort de cette expérience vécue dans un climat très anxiogène ? Le regard d’une psychosociologue du Lot, Louise Soulié, qui exerce depuis plus de 20 ans, nous aide à y voir plus clair sur les ressentis, les problématiques et l’espoir peut-être de retrouver une vie plus sociale.

Ce qui est certain, dès les restrictions sanitaires allégées, le couvre-feu supprimé, les attestations de déplacement terminées, nous ne retrouverons pas notre vie d’avant. Il y aura bien une vie après Covid, tout le monde est au moins quasiment unanime sur cet état de fait.

« Le confinement va à l’encontre de notre fonctionnement psychologique et biologique. »

Louise Soulié / Psychosociologue
Louise Soulié, psychosociologue installée dans le Lot, a un regard vigilant sur la sortie de la crise sanitaire. (©M.-F. P.)

Actu : Tout d’abord comment présenteriez-vous votre métier ?

Louise Soulié : Vous avez un rendez-vous et vous me demandez comment vous habiller. Je vais vous dire ça dépend de l’endroit où vous allez : voir le banquier pour demander un prêt, chez belle-maman, marcher avec des amis. Selon l’endroit, c’est-à-dire, l’environnement, selon ce que vous souhaitez faire, tout ça va conditionner votre manière de vous habiller. Dans mon métier, on ne fait jamais abstraction de l’environnement. Une problématique, une difficulté, elle est toujours regardée, envisagée, posée dans un environnement particulier.
Quand on vient me voir pour une problématique, on ne s’allonge pas sur un divan. On peut être côte à côte ou sortir à l’extérieur. L’objectif est de voir ici et maintenant ce qui coince. Et on va mettre l’accent sur comment faire face à ce qui dysfonctionne, pour l’améliorer.

Comment l’être humain a tenté de s’adapter aux différents confinements ?

Louise Soulié : L’homme pris dans la tourmente de la crise sanitaire s’est adapté comme il pouvait. Notre corps est fabriqué pour que nous survivions. Pour nous sauver et faire face à une menace, il y a deux possibilités : la première fuir très loin, la deuxième se battre et détruire la menace. Et si on ne peut rien faire, nous pouvons faire le mort comme la souris face à un rapace. Mais nous sommes réellement fabriqués et conçus pour fuir, agir et rétablir un équilibre pour nous sauver.

Quels sont les changements psychologiques qui ont été visibles ou perceptibles au fil des confinements ?

Louise Soulié : Lors du 1er confinement, il se passe quelque chose d’unique, un danger est là, inconnu, pas de réponse collective. Que faire ? Repli. Si cela a été vécu comme une fuite, c’est quand même une action : on se retire, on se barricade, on met le masque ou pas… Ce 1er confinement se passe bien. Des personnes agissent, créent, inventent, se remettent en question.
À partir du 2e confinement, nous ne sommes plus dans l’action, on subit. Tout notre être nous dit de fuir, mais où qu’on aille on ne peut pas. C’est là que commencent les difficultés. Nous ne sommes pas fabriqués pour subir longtemps. On est en tension, on a envie de faire quelque chose et tout nous dit « tu ne peux pas, tu n’as pas le droit ». Cette obligation de ne rien faire nous tue psychologiquement.
Et le 3e c’est encore pire. En fait, ce qui se passe dans ces périodes-là, ce qui va s’intensifier depuis le 1er confinement, ce sont des boucles de cercles vicieux qui nous sont défavorables individuellement et collectivement. Le confinement tel qu’il est aujourd’hui, du point de vue biologique, va à l’encontre de notre fonctionnement psychologique et biologique. On encaisse, on supporte…

« J’accompagne les personnes pour qu’elles retrouvent du pouvoir d’agir dans leur vie ; c’est vital »Louise SouliéPsychosociologue

Pourriez-vous préciser ?

Louise Soulié : Par exemple, les infos me disent qu’il y a un danger. Je me renseigne pour sauver ma peau, je m’informe dans les journaux. Ceux-ci me disent que c’est très grave et qu’on ne peut rien faire. Comme c’est très grave, j’ai besoin d’encore plus d’infos. J’y retourne et là commence une boucle dans laquelle pour trouver des moyens d’apaiser ma peur d’agir, je vais devoir chercher d’autres infos, elles sont contradictoires, celles-ci accroissent ma peur. Mon anxiété augmente, je veux la stabiliser, alors il me faut plus d’infos. Ça y est, je suis partie, je suis dans cette espèce de boucle, et l’anxiété est grandissante.

Avez-vous reçu un plus grand nombre de personnes depuis le 1er confinement ?

Louise Soulié : Au 1er confinement, j’ai des personnes qui sont venues mais de manière très brève pour exprimer si ce qu’elles ressentaient était normal. Comme j’ai envie de vivre, j’ai un peu peur, est-ce que ça va durer, est-ce normal d’être triste ou en colère ? Beaucoup de parents aussi se posaient des questions pour leurs enfants.
Par contre, c’est à partir du 2e confinement que des personnes ont commencé a appeler pour exprimer leur détresse : la peur d’être infecté, la peur d’infecter, le sentiment de n’avoir aucune issue, d’être piégé et de perdre pied. Puis la sortie du 2e confinement a été juste une respiration, et non une remise à jour de l’état psychologique. Tout le monde profitait vraiment.
Après le 2e confinement, j’ai eu beaucoup plus d’enfants. Leur comportement était différent par rapport à d’habitude mais en fait, ils se sont adaptés tout simplement. La crainte majeure qu’ils ont exprimé : je ne veux pas transmettre la maladie, je ne veux pas tuer. Ils se sentaient en capacité de tuer s’ils enlevaient le masque. Les enfants venaient avec ces craintes-là..
Par contre, dans ce 3e confinement je n’ai pas eu ce genre de cas. Je pense qu’il y a quelque chose qui est acquis.
Ce qui nous amoindrit au niveau psychologique c’est bien la manière dont on gère cette situation. Dans mon activité, les personnes qui viennent me voir aujourd’hui (enfants, ados, parents, adultes, personnes âgées, entreprise…), je les invite grandement à retrouver la capacité à agir. Je les accompagne pour qu’elles retrouvent du pouvoir d’agir dans leur vie ; c’est vital.
L’important dans la situation qui est la nôtre, est de savoir vraiment pour soi-même ce qu’on veut ou pas, et agir pour ce que l’on souhaite qu’il advienne, même pour les choses les plus simples : nous recentrer pour ne pas être emporté.

« On ne retrouvera pas une vie comme avant le Covid, tout le monde n’en ressortira pas indemne »

Louise Soulié / Psychosociologue

Comment peut-on percevoir l’avenir ?

Louise Soulié : Le niveau de patience a grandement diminué pour la majorité d’entre nous. Quand nous serons tous dehors, il faudra être prudent parce que des personnes risquent « d’exploser » émotionnellement.
Il y aura aussi un phénomène de décompensation. Après avoir sauvé notre peau, on s’apaise le temps que toutes les constantes retrouvent leur place initiale. Mais des personnes iront plus loin, c’est-à-dire que cela aura été tellement dur que ça prendra beaucoup de temps. Elles vont se laisser aller et n’auront plus la force de réagir. Et beaucoup auront du mal à retrouver l’état de quiétude, de détente. Des syndromes dépressifs risquent d’apparaître. Les modèles de la dépression sont des modèles de l’impuissance acquise ou apprise. Et là mon travail consiste à dire aux personnes, si vous vous sentez impuissant, on va trouver quelque chose à faire. Je vais vous aider à retrouver votre pouvoir d’agir.

Comment appréhender le presque retour à la normale ?

Louise Soulié : Ce qui va se passer quand on va être déconfiné, c’est que beaucoup de personnes vont dire « ça y est, c’est fini » mais elles ne vont pas se remettre à galoper car elles n’auront plus la force de réagir… L’organisme est épuisé physiquement et émotionnellement, style burn-out. On peut espérer que les personnes sortent « du désert » sans trop de dégâts tout en respectant la diversité et la différence de chacun. Nous n’avons pas tous la même pendule, le même rythme de vie, depuis des mois, entre ceux qui sont confinés, en télétravail ou en présentiel. Nous ne construisons pas la même réalité, nous ne sommes plus dans le même monde. Il faudra du temps. La vie d’avant, elle est finie.

Propos recueillis par MARIE-FRANÇOISE PLAGÈS

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